lundi 5 novembre 2007

"La réforme de la carte judiciaire accouche d'une souris" Jacques Commaille, sociologue


Avec la ministre de la justice, Rachida Dati, poursuit sa présentation de la réforme de la carte judiciaire, centrée sur la suppression d'une vingtaine de tribunaux de grande instance sur 181 et de nombreux tribunaux d'instance (80 suppressions déjà annoncées sur 476). Mme Dati devait se rendre dans les cours d'appel de Colmar et Besançon lundi 5 novembre, puis dans celles de Rennes et d'Angers, vendredi 9.


Professeur à l'Ecole normale supérieure de Cachan, auteur de "Territoires de justice, une sociologie politique de la carte judiciaire" (PUF, 2000), comment jugez-vous la réforme qu'est en train de présenter Mme Dati ?

C'est une réforme qui paraît en deçà des ambitions affichées au départ et en deçà de ce qu'il paraîtrait souhaitable de faire. Le gouvernement accouche d'une souris. La réforme est davantage la résultante de contraintes que l'expression d'une volonté.

Une réforme de la carte judiciaire doit poursuivre plusieurs objectifs simultanés : un objectif comptable, la rationalisation des moyens ; un ajustement des fonctions de justice aux évolutions économiques, démographiques des territoires et aux nouveaux moyens de communication ; enfin, une volonté de répondre aux besoins sociaux de justice.

La question de la justice de proximité est très importante de ce point de vue, et est en contradiction avec la suppression annoncée de nombreux tribunaux d'instance. Dans la réforme présentée, c'est surtout le premier objectif qui est rempli : une meilleure utilisation des moyens.


Pourquoi cette ambition est-elle en retrait ?

Pour réformer la carte judiciaire, il faut profiter d'un changement politique et agir très vite, sinon vous vous heurtez à la résistance traditionnelle des avocats et des représentants politiques. Plus on attend, plus on approche de l'échéance des élections municipales. Or, dès qu'une échéance politique s'annonce, la réforme de la carte devient impossible. C'est ce qui a fait échouer le gouvernement Jospin.


Comment s'est passée la dernière grande réforme, en 1958 ?

En 1958, Michel Debré avait une volonté de restaurer le statut de la justice, car c'était restaurer l'image de l'Etat. Il s'agissait de renforcer une institution qui a une fonction régalienne. Cela allait de pair avec la création de l'Ecole nationale de la magistrature. Les magistrats n'ont jamais été un obstacle à une réforme de la carte. La préoccupation de Debré était le lobby des avocats et des politiques. On peut se demander s'il est possible de concevoir une réforme de la carte sans une réforme plus profonde de la justice.


La réforme porte surtout sur les tribunaux d'instance.

On peut supprimer des tribunaux d'instance si l'on considère qu'ils ne répondent plus à un besoin de justice sur leur territoire. Mais c'est dans les tribunaux d'instance que le citoyen peut éprouver la proximité d'une institution. Ils traitent des problèmes de logement, de consommation, de surendettement, de conflits de voisinage. Les justiciables peuvent y aller sans être représentés par un avocat. C'est le lieu où se règlent les problèmes quotidiens. Enlever le tribunal d'instance, c'est comme enlever la poste.


N'aurait-il pas fallu créer des tribunaux ?

La distribution des tribunaux sur le territoire est inadaptée. Il faut en supprimer mais aussi en créer, là où de nouveaux besoins de justice apparaissent. Pense-t-on cette redistribution en fonction des besoins de la société ou d'exigences comptables ? La tendance lourde, visible dans d'autres pays, est de penser une juridiction comme une entreprise.

C'est vrai que la justice est une institution qui a abusé de son statut non économique. Mais elle exerce des fonctions d'arbitrage social. Elle a une fonction symbolique qui justifie qu'on ne la traite pas comme une entreprise privée.

On peut parler de modernisation, de gestion, de rationalisation des moyens. Mais aussi et surtout des ajustements nécessaires aux besoins de la société. On peut être surpris de voir que rien ne change dans la carte judiciaire de la Seine-Saint-Denis, alors que c'est un des départements où les besoins sociaux de justice se font le plus sentir.


Propos recueillis par Alain Salles
Article paru dans l'édition du 06.11.07 du journal Le Monde

1 commentaire:

Anonyme a dit…

La décision de Rachida Dati de fermer le tribunal d’instance d’Aubusson a été prise sans la moindre concertation avec les élus et au mépris des intérêts légitimes des creusois dépendant du ressort de cette juridiction.

Un par un, poste par poste, nous assistons dans les territoires ruraux au désengagement de l’Etat et à la rupture de l’égalité entre les citoyens, au fur et à mesure de la destruction des services publics.

Le mouvement s’amplifie, et la réforme de la carte judiciaire telle qu’elle nous est annoncée procède d’une centralisation à son paroxysme, de la justice républicaine. L’échelon de proximité que représente les tribunaux d’instance disparaît, et avec lui un accès simple à la justice pour les personnes les plus vulnérables et les plus modestes de notre société.

Désormais, les justiciables du sud-est creusois n’auront d’autre solution que de parcourir les 45 à 80 kms qui les séparent de Guéret, la ville préfecture.

D’autres choix de réorganisation sont pourtant possibles : pourquoi ne pas envisager de fusionner Aubusson et Bourganeuf, autre juridiction supprimée, en conservant des audiences foraines à Bourganeuf ? L’activité cumulée de ces deux tribunaux d’instance est largement supérieure à celle d’un tribunal de Commerce dont la Garde des Sceaux nous annonce l’ouverture à Guéret, ce qui n’apporte aucun progrès puisque le TGI statuait déjà en matière commerciale.

J’ai, pour me faire entendre, pris une décision en mon âme et conscience, dont j’ai mesuré les risques et les conséquences. J’ai entamé jeudi matin une grève de la faim, dont la presse régionale et nationale s’est largement fait l’écho. Le soir même, j’étais contacté par le cabinet de Rachida Dati. J’ai reçu l’engagement, confirmé par écrit, que la situation d’Aubusson serait réexaminée par les services de la Chancellerie, au regard de ma proposition. Rendez-vous a été fixé lundi à 15 heures place Vendôme à Paris pour en discuter. Dans ces conditions, j’ai décidé de suspendre mon initiative, en signe de bonne volonté réciproque.

Je déplore que la grève de la faim soit l’ultime moyen de se faire entendre d’un pouvoir qui choisit délibérément d’ignorer le point de vue des représentants élus du monde rural. Je rappelle que l’assemblée générale de l’association des maires et adjoints de la Creuse a adopté samedi une motion demandant que les tribunaux d’Aubusson et Bourganeuf ne soient pas fermés, comme l’avait fait également l’assemblée plénière départementale.

Il va de soi que ce premier pas de madame la ministre doit en appeler d’autres pour que les creusois et leurs élus puissent accepter les conséquences locales de la réforme de la carte judiciaire.

Michel Moine, maire d'Aubusson
www.michel-moine.net