lundi 14 janvier 2008

Comprendre le Traité Européen par Daniel Cirera

Nouveau traité, mini - traité, traité simplifié, traité modificatif, traité réformé, traité différent... Le débat sur la nature du traité européen remplaçant le Traité constitutionnel n’est pas qu’ une querelle de forme. L’argumentation varie selon les interlocuteurs. Aux partisans du oui, il est expliqué qu’ils ont toutes les raisons d’être satisfaits et de soutenir le traité ainsi modifié parce que, sur le fond, rien n’a été changé. Aux partisans du non, majoritaires en France, il est expliqué qu’il n’y a aucune raison de s’y opposer parce tout ce qui faisait problème aurait été enlevé. Cette confusion délibérément entretenue, ce jeu de bonneteau, ne doivent rien à l’improvisation. Il s’agit de tranquilliser les uns et les autres afin qu’ils ne posent pas trop de questions, pour expédier l’affaire et justifier ainsi le refus de toute consultation populaire par référendum. "L’alibi du Traité constitutionnel étant levé ", il ne devrait plus y avoir d ’obstacle à une ratification, à grande vitesse et par la voie parlementaire, du "nouveau" traité.


Pour un référendum en France et dans les autres pays d’Europe

L’acharnement de Nicolas Sarkozy à brûler les étapes pour obtenir une ratification à l’arraché de "son" traité devient suspect aux yeux de l’opinion. Pour lui, la France devrait être la première à ratifier, comme si elle avait à se faire pardonner son incartade au référendum de 2005. Surtout, en Europe on compte sur un effet d’entraînement. Malgré les pressions et le chantage, au fil de jours, grandit la conviction qu’il faut un référendum. C’est devenu l’enjeu central du débat. C’est d’abord une question de principe. Plus de 60% des françaises et des français, par delà leur sentiment sur le traité, le souhaitent. Il y a nouveau traité parce qu’il y a eu rejet du Traité constitutionnel : à 55% ils avaient voté contre la précédente mouture. Il est juste d’être consulter sur le nouveau projet. Seul un vote populaire peut valider et légitimer les conditions nouvelles de l’engagement européen de la France. En outre, il apparaît que le traité de Lisbonne reprend l’essentiel du traité rejeté. C’est une raison suffisante pour re-consulter le peuple.

Enfin, nous sommes entrés dans une période charnière. Avec en 2008 la présidence française du conseil européen, les élections européennes en 2009, l’organisation de référendums crée les conditions les plus favorables pour que soit ré -ouvert le débat populaire sur l’avenir de l’Europe, les transformations à opérer, et cela à l’échelle de l’Europe.

Nouveau traité ou TCE recyclé ?

Alors, nouveau traité ou nouvelle mouture du traité rejeté ? Le mieux est d’en revenir au texte lui-même pour voir de quoi il en retourne. Tache ardue, plus ardue encore qu’avec la Constitution. Finalement le débat référendaire avait fait de ce texte plutôt austère, révélé par l’Humanité, un best-seller. Le traité de Lisbonne concocté par un collège de juristes est une jungle inextricable de plusieurs centaines d’amendements dans un document de 255 pages comprenant un préambule, le traité lui-même, 12 protocoles additionnels et 53 déclarations annexes.

Il est cependant possible d’examiner sa continuité avec le traité constitutionnel, et surtout s’il a été tenu compte des inquiétudes et des attentes exprimées dans le vote non des français et des néerlandais.

Ce traité est nouveau en ce sens qu’il a été élaboré dans les quelques semaines de l’été 2007 pour remplacer le traité constitutionnel rendu caduc par les votes négatifs des référendum français et néerlandais. Il comporte des nouveautés par rapport au traité rejeté et des nouveautés par rapport aux traités précédents (Traité de Rome et Traité de Maastricht modifié à Amsterdam et à Nice).

Par rapport au traité constitutionnel, les modifications portent essentiellement sur les symboles : il ne s’agit plus d’une "Constitution". On a retiré les références à un l’Hymne à la Joie de Beethoven, et au drapeau, qui continueront à fonctionner comme par le passé. Il est vrai que la Charte des droits fondamentaux n’est plus incluse dans le texte ; elle est cependant fixée dans un protocole additionnel qui la rend contraignante, sauf pour les Etats qui ont demandé à ne pas y être soumis.(Grande Bretagne, Pologne..)

Par rapport aux anciens traités, il comporte des modifications institutionnelles qui, pour la plupart, étaient inscrites dans la Constitution : élection du président du conseil pour deux ans et demi – au lieu des six mois aujourd’hui-, renouvelable une fois ; désignation d’un Haut représentant aux affaires étrangères qui aura rang de vice-président ; redéfinition des votes à la majorité ; extension des domaines de la codécision impliquant le Parlement européen ; réduction à terme du nombre de Commissaires ; allongement de 6 à 8 semaines du délai d’examen accordé aux parlements nationaux.

Le Non ignoré

Ainsi équipée avec ces innovations institutionnelles, l’Europe pourrait enfin repartir d’un bon pied. Elle serait sortie de la crise d’impuissance du traité de Nice et de la crise de confiance générée par les non français et hollandais. Est-ce bien sérieux ? En réduisant la crise européenne à un blocage institutionnel, et à un malentendu de peuples mauvais coucheurs, Nicolas Sarkozy et les dirigeants européens soit se tranquillisent à bon compte, soit comptent sur l’effet de surprise, la lassitude, la confusion pour faire passer aujourd’hui ce qui en 2005 a fondé le rejet du traité constitutionnel.

Le non français a été une réaction lucide et informée à des politiques vécues comme des régressions sociales, accroissant l’insécurité sociale et minant le socle de solidarité encore existant, sans ouvrir de perspective. Chacun sait combien ont pesé dans ce choix les révélations sur le contenu et les conséquences de la directive Bolkestein, les inquiétudes légitimes sur les services publics, notamment de proximité, telle que la poste.

La concurrence comme dogme intangible

Nicolas Sarkozy s’est vanté d’avoir fait retirer des objectifs de l’Union "la concurrence libre et non faussée". C’est un tour de passe-passe. Le principe de la concurrence reste au coeur de toutes les politiques de l’Union. Article 105 : "le principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre". Protocole 6 : "Le marché intérieur tel qu’il est défini à l’article (I-3) du traité comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée."

Les conséquences sont explicites pour les services publics, eux- aussi soumis aux règles de la concurrence : Article 86 : " Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence." (Article 86). Il précise" dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie". En l’occurrence, la règle est la concurrence et l’interprétation sera fonction des rapports de forces, de la volonté de la commission et de la jurisprudence à ce jour toujours favorable à la concurrence.

Article 87. "Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur (...) les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d’Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions." C’est la possibilité d’une politique industrielle cohérente et sur le long terme, ou le principe même de subventions qui sont, ou peuvent à tout moment, être mis en cause. Airbus ou l’énergie en sont des exemples éclairants.

L’impossible harmonisation fiscale

Alors que la concurrence est érigée en dogme, et que le "marché du travail" est libéré comme celui des "capitaux", comme dans le Traité constitutionnel, la fiscalité des entreprises n’est soumise à aucune règle commune - à la différence de la TVA - Le champ reste totalement ouvert au dumping fiscal et à la mise en concurrence sur la base du moins disant social et fiscal.

La Banque centrale européenne intouchable

Aucun changement dans la définition des missions et du rôle de la BCE. Les critiques et les coups de gueule n’avaient pas manqué pendant la campagne électorale. Aucun changement par rapport aux dispositions inscrites dans la partie III du TCE. Un seul objectif : lutter contre l’inflation pour préserver les marché financiers. Rien sur l’emploi et la croissance. (Article 105 renforcé par l’article 245 bis). " La BCE est indépendante dans l’exercice de ses pouvoirs et dans la gestion de ses finances. Les institutions, organes et organismes de l’Union ainsi que les gouvernements des Etats membres respectent cette indépendance." (Article 108)

L’allégeance à l’OTAN

Une politique de paix et de sécurité indépendante des Etats-unis, inventant des relations de coopération pacifique et démilitarisées avec ses voisins est un des fondements qui peut légitimer une construction commune en Europe. Pourtant, sur cette question si déterminante de la paix, le texte est le copié collé du TCE : " Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’Otan, qui reste pour les Etats qui en sont membres le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en oeuvre." (Article 27-7 TUE) Comme dans le TCE, il est précisé que " Les Etats membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires." (Art.27-3 TUE).

Si l’on s’en tient au texte lui-même on constate qu’effectivement la substance du traité constitutionnel est préservée. C’est le constat satisfait d’Angela Merkel, la chancelière allemande. Valéry Giscard d’Estaing, le père de la constitution explique sans fard que "la différence porte davantage sur la méthode que sur le contenu (...) Concernant les réponses apportées aux adversaires du traité constitutionnel, il faut constater qu’elles représentent davantage des satisfactions de politesse que des modifications substantielles" (notamment sur la concurrence) (...) le texte des articles du traité constitutionnel, est donc à peu près inchangé, mais il se trouve dispersé en amendements aux traités antérieurs. " Et il conclut, concernant la ratification :"Elle ne devrait pas rencontrer de grandes difficultés (...) car la complication du texte et son abandon des grandes ambitions suffisent à en gommer les aspérités." (Le Monde 27 octobre 2007)

Sortir l’Europe de sa crise

Cette continuité entre le Traité constitutionnel et le Traité "Sarkozy" appelle pour le moins un débat public. S’il s’agit de faire revenir ce qui a été rejeté, il faut que les choses soient dites. Affaire de démocratie. Après le vote du référendum de 2005, l’engagement de la France pour une longue période à venir nécessite une nouvelle validation, ou invalidation par le suffrage populaire.

Tout aussi grave est la reconduction du socle et de ce qui fonde les politiques néolibérales, conduirait à une nouvelle impasse. Devant le séisme du non français, plusieurs dirigeants européens ont dû admettre - même si ce n’est pas publiquement - que la construction européenne traversait une crise de légitimité populaire. Non pas pour des raisons institutionnelles, mais pour sa carence sociale et démocratique. Ceux qui ne veulent pas voir que le Non n’est pas la cause de la crise mais son expression populaire et politique portent le risque de son aggravation. Au delà-même de la critique rigoureuse du traité, comme recyclage de la Constitution et de ses fondements ultralibéraux, pour le mettre en échec, il faut empêcher que se referme la perspective de changement ouverte par le rejet du traité constitutionnel. Il faut maintenir ouvert le chantier des réformes et des ruptures à mettre en oeuvre pour avancer dans la construction d’un nouveau modèle de développement, social, écologique, solidaire. Il s’agit tout simplement de faire face aux défis de la période et de répondre, enfin, aux attentes populaires.

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